Numérique

Quelle stratégie pour la blockchain en France ?

À l’occasion de la Paris Blockchain Week, le MEDEF a organisé une table ronde, lundi 15 avril 2019, en présence de Domitille Dessertine de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de Vidal Chriqui de BTU Protocol, de Jean-Michel Mis de la mission d'information blockchain, et de Robin Bonenfant de la Direction générale des entreprises (DGE). Cette table ronde a été animée par Maxence Demerlé, la directrice du numérique au MEDEF. Pour rappel : la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.

Une technologie qui mûrit
Selon Vidal Chriqui, cofondateur de BTU Protocol, auparavant, Internet était un Internet d’informations, avec des données duplicables (en effet, lorsque l’on envoie une photo par mail, c’est en fait une copie de cette photo que l’on envoie). L’Internet qui est en train de naître, l’Internet de la valeur, permet de faire circuler des objets de valeur (des bitcoins par exemple). Il y a maintenant des sociétés qui émettent leurs tokens (Initial coin offering, ICO), y compris Facebook.
Pour Vidal Chriqui, l’innovation, c’est la rencontre entre une attente sociétale et une technologie qui mûrit. L’attente actuelle est de reprendre le contrôle sur les finances, les données et même l’électricité. Les géants d’Internet ont compris que les systèmes blockchain intéressent l’acteur final qui bénéficie ainsi de la valeur générée.
BTU Protocol a inventé un système de réservation en direct (hôtels, restaurants, excursions à Paris…), sans passer par une plateforme qui prenne une commission. C’est un concept que l’on connait déjà dans la blockchain en tant que circuit court : dans l’alimentaire, si on s’adresse directement au producteur, on va payer moins cher, tout en lui permettant de vendre avec une meilleure marge. BTU Protocol propose la même chose dans l’hôtellerie, en créant un nouveau canal de diffusion avec de nouveaux intermédiaires qui prennent une commission bien moindre que les plateformes. La blockchain est en BtoB (business to business) entre le nouvel intermédiaire de réservation et le professionnel.
Les comités d’entreprise, les influenceurs du Web ou les professionnels au contact des touristes deviennent des passerelles vers la réservation directe, créant ainsi un nouveau canal de distribution pour les hôteliers. La blockchain permet « d’ubériser » un réseau et de reprendre le contrôle sur la marge donnée à la distribution en évitant les situations de monopole.

Forte vitalité de l’écosystème blockchain en France
Robin Bonenfant, sous-directeur des réseaux et des usages numériques au service de l’économie numérique à la Direction générale des entreprises (DGE), explique que le ministère de l’Économie cherche à pousser dans l’économie des applications très concrètes et industrielles de la blockchain, qui ont donné lieu aux mesures annoncées le matin même par le ministre de l’Économie et le secrétaire d’État au numérique.
Le volet non-financier de la blockchain est lié au volet financier. La loi Pacte a permis d’avoir un cadre juridique sur les ICO, la loi de finances a donné un cadre fiscal à la blockchain et la mise en place d’un cadre comptable. Ce socle financier permet de construire des applications à l’échelle des filières. Dans la plupart des blockchains, il y a en effet toujours une dimension cryptoactif.
La DGE a lancé un recensement des projets blockchain en France. Il y a une forte vitalité de l’écosystème blockchain en France, avec plus de 200 projets à des stades de maturité divers. Ce que permet la blockchain, ce ne sont pas des usages nouveaux, mais une manière différente de les mener. Elle permet en fait de décentraliser un système d’information et de se passer des acteurs prédominants. Dans l’économie numérique, on constate une forme d’entrave croissante à la concurrence par la création de monopoles par des plateformes. La blockchain peut être une réponse.
Les mesures annoncées ce matin sont :
- organiser le passage à l’échelle des filières industrielles grâce à la blockchain (rénovation énergétique des bâtiments, traçabilité alimentaire, services énergétiques notamment) ;
- accès au financement. Le gouvernement mène une politique active en faveur des innovations de rupture avec un plan de 4,5 milliards d’euros sur cinq ans ;
- enjeux technologiques, avec les problèmes de consommation énergétique ou de latence. Le coût de l’énergie n’est pas homogène et pose un problème de concentration du minage dans les pays où l’énergie est moins chère et les normes environnementales moins exigeantes ;
- accompagnement des porteurs de projets blockchain avec des conseils personnalisés sur le guichet France expérimentation, ainsi que des ateliers gratuits dans le cadre de French Tech Central à Station F.

Une mutation profonde
Domitille Dessertine, directrice de la division Fintech, innovation et compétitivité de l'Autorité des marchés financiers (AMF), indique que la France est un des premiers pays au monde à avoir donné un cadre réglementaire, fiscal et comptable aux cryptoactifs. L’AMF s’est intéressé dès 2017 à la blockchain en rencontrant environ 80 porteurs de projets d’ICO (programme Unicorn). Elle a découvert une grande vivacité en R&D dans ce domaine.
De nombreux projets tournaient autour de la maîtrise des données personnelles. L’AMF a participé aux discussions autour du projet de loi Pacte, permettant un juste équilibre entre l’innovation et la protection des investisseurs. Elle a rencontré des prestataires ICO et constaté qu’il y avait des similitudes avec les intermédiaires financiers traditionnels (plateformes d’échange, courtage, conservateurs de cryptoactifs…).
Aujourd’hui, l’AMF travaille à la déclinaison de la loi Pacte, avec des projets de textes d’application. L’ambition de l’AMF est d’être prête à agréer les ICO et les prestataires qui le souhaitent le plus tôt possible après la promulgation de la loi (la rentrée pour les ICO et la fin de l’année pour les prestataires). Ceci concerne les cryptoactifs non-instruments financiers. Aujourd’hui, les security tokens offering (STO) utilisent la blockchain dans le domaine des instruments financiers, un domaine très régulé au niveau européen. Les réflexions actuelles portent sur la possibilité d’effectuer des STO à droit constant.
L’AMF réfléchit plus généralement à l’innovation dans le domaine des fintech (IA, machine learning, robots, smartcontrats…), mais considère que ce n’est pas un épiphénomène. Deux tendances ressortent actuellement : la blockchain, avec une validation des transactions qui ne se fait plus avec une seule entité, mais avec un réseau, et l’utilisation intensive de la donnée et de l’automatisation des procédures (big data, machine learning, IA, deep learning).
Dans l’univers des services financiers, il y a trois tendances qui se dégagent :
- la « tokenisation » des instruments, car de plus en plus de produits et de service sont échangés de manière quasi financière. En tant que régulateur, ils se posent la question de leur rôle et celui du financement des entreprises (crowdfunding) ;
- l’émergence de la « plateformisation » qui va simplifier les connections entre investisseurs et entreprises ;
- l’automatisation, avec l’utilisation intensive de la donnée, qui vise à effectuer les procédures à faible valeur ajoutée (conformité notamment).
Tout ceci va mener à une mutation profonde de l’organisation des institutions et des marchés. Le régulateur doit gérer cette transition sans faire table rase du passé.

« Désubériser » l’économie grâce à la blockchain
Jean-Michel Mis, député de la Loire et corapporteur de la mission d'information blockchain, s’est intéressé à l’impact de la blockchain sur l’économie, la souveraineté, la gouvernance, et le partage et la création de la valeur. La blockchain repense la décentralisation de la confiance et de la souveraineté en décentralisation de la valeur. Les plateformes concentraient la captation de la valeur par la captation de la donnée. On peut aujourd’hui « désubériser » l’économie grâce à la blockchain, en évitant qu’un seul acteur prenne la main sur un secteur entier (tourisme notamment).
La première partie du rapport de la mission d’information blockchain était de se demander quel était l’état de la technologie (forces et faiblesses) et quels étaient les cas d’usage. Les start-up françaises sont actives et tournées vers le monde entier.
Le parlement a dû trouver un cadre juridique souple pour faciliter la prise de risque, tout en protégeant les investisseurs. Ce qui a été fait avec la loi Pacte et l’instauration de la flat tax.
Le gouvernement porte un grand intérêt à ces sujets. Il faut que l’ensemble des acteurs de cet écosystème se sentent partie prenante avec une réglementation la plus lisible possible.

La blockchain n’en est qu’à ses débuts !