Avec la participation de Monique Canto-Sperber, Sophie de Menthon, Xavier Gorce, Frédéric Lefret, Philippe Manière, Michel Wieviorka et animé par Saveria Rojek.
Verbatim
- Michel Wieviorka : "Le mot woke, c'est du mauvais américain. Au début, c'est un mot positif pour lutter contre la discrimination des noirs américains, puis le mot arrive en France et est alors utilisé de façon négative."
- Xavier Gorce : "J'ai été attaqué pour un dessin, qui ironisait sur la façon de définir l'inceste à partir de la filiation. Le Monde s'est excusé pour ce dessin et j'ai trouvé cela lâche, donc j'ai quitté le journal. Il faut prendre cette question de la woke culture appliquée aux entreprises très au sérieux, car aux Etats-Unis les entreprises en arrivent à une systématisation de l'approche. Par exemple, Lego a retiré de la vente les petites voitures de police après l'affaire George Floyd, car la police c'était le mal."
- Philippe Manière : "En France, les entreprises ont aussi toute légitimité à faire des numéros de claquettes si cela leur rapporte des consommateurs, mais il faut faire attention, car notre système de valeurs n'est pas le même qu'aux USA."
- Sophie de Menton : "Il y a plusieurs types possibles de discriminations dans les entreprises. Prenons l'exemple de l'écriture inclusive, que je déteste, petit à petit, il y a une espace de menace qui pèse et la peur de la discrimination peut devenir inquiétante."
- Frédéric Lefret : "Le nouveau métier dans les entreprises, cela va être d'être équilibriste, pour contourner les problèmes. Confère l'affaire Evian en juin dernier."
- Michel Wieviorka : "Les entreprises défendent des valeurs d'équité et d'égalité, je pense que ce dont nous discutons, c'est la face sombre d'une problématique, qui a aussi une face de lumière."
- Michel Wieviorka : "Nous sommes au début d'un phénomène historique, qu'il va falloir apprendre à gérer."
- Sophie de Menton : "Je pense qu'il ne faut pas céder, car c'est insidieux. Je crois que le balancier va retrouver un équilibre."
- Philippe Manière : "Il y a tout de même derrière tout cela des enjeux culturels."
- Philippe Manière : "Il faut trouver des manières de poser de limites. Mais il ne faut pas se leurrer, cela ne touche pas que les grandes entreprises, mais aussi les plus petites, du fait notamment de l'effet des réseaux sociaux."
- Xavier Gorce : "Là où le wokisme, dans sa face sombre, gagne du terrain, c'est quand il y a de la lâcheté en face. Il faut garder en tête que ce qui se passe sur les réseaux est tout de même très minoritaire. Il faut en revenir à la raison et à la réalité des faits. Et la manière de lutter contre cela, c'est de pratiquer l'humour. Et ce qui marche aussi avec l'humour, c'est l'éducation, car il faut apprendre le second degrés."
- Frédéric Lefret : "On a deux tendances aujourd'hui, le green trolling et la sobriété numérique."
- Monique Canto-Sperber : "Que les entreprises assument une responsabilité sociale, cela est une évidence, mais avec la woke, il s'agit d'un soupçon systématique, qui consiste à montrer que la discrimination et le racisme sont partout. Et cela mène au plus total arbitraire."
- Monique Canto-Sperber : "En jouant ce jeu-là, les entreprises vont contribuer à une forme de ségrégation sociale, car il y a une grande majorité de la population qui ne sait pas ce qu'est le woke."
- Philippe Manière : "Oui, il y a des tas de gens de bonne foi, mais il y a aussi des idéologues, avec lesquels on ne peut pas parler, et des influenceurs, qui pensent surtout à ce qu'ils peuvent tirer comme profit. Donc la posture de l'entreprise n'est pas facile."
- Sophie de Menton : "Il y a un devoir de résistance des entreprises vis-à-vis de ce mouvement."
- Michel Wieviorka : "Nous manquons de débat et de réflexivité. Oui, le woke est détestable, mais essayons le plus possible de retrouver le sens de l'échange et du dialogue."
- Monique Canto Sperber : "Il s'agit de décrypter la réalité pour déceler des traces de racisme et de passer à une sorte d'activisme qui dénonce . Ce qui s'est passé avec la woke culture et le capitalisme woke, plusieurs entreprises ont montré leur soutien au mouvement Black live matters, mais à partir de là on risque d'arriver à une forme de contrôle social au sein des entreprises."
Pour aller plus loin
La woke culture va-t-elle envahir les entreprises ?
Le premier débat sera consacré à la woke culture et à son impact sur les entreprises. Selon l’analyste anglais Douglas Murray, les trois sources philosophiques du « wokisme » seraient Michel Foucault, Antonio Gramsci et Jacques Derrida, le tout sous l’angle de la « déconstruction » de la pensée occidentale.
Popularisée par les réseaux sociaux, la woke culture, contre laquelle Barack Obama avait mis en garde dès 2019 lors du sommet annuel de sa fondation, se répand partout, au risque de remettre en cause la liberté d’expression - et ce jusque dans les entreprises - comme moyen de lutter contre injustices et inégalités. Les entreprises sont en effet de plus en plus nombreuses à s’engager dans cette voie ; on se souvient par exemple d’Evian, ayant choisi de s’excuser pour avoir fait la promotion de ses eaux minérales en plein Ramadan. On se souvient aussi d’Assa Traoré, chaussée d’escarpins Louboutin, offerts par la marque en solidarité avec la lutte contre les violences policières.
Certes, en France nous n’en sommes pas encore au stade des Etats-Unis, où soutenue par les Gafam, la woke culture envahit vraiment les entreprises qui radicalisent leurs discours. Certains vont jusqu’à dire que le « wokisme », né sur les campus américains, est à la fois anti-libéral et anti-capitaliste et se veut comme une « anti-élite », afin de permettre à chacun d’accéder à la réussite sociale.
Au nom de leur conception de la justice sociale, focalisée sur les critères de race et de genre, les woke veulent censurer et interdire, bannissant au passage humour et dérision. Ecriture inclusive, stages des entreprises américaines pour « devenir moins blancs » etc., dans leur posture combative, les adeptes de la woke culture ne viennent-ils pas menacer tout simplement la liberté d’expression ? Si le « wokisme » progresse un peu partout, cf. les dernières cérémonies des Césars, où en sommes-nous vraiment ? La France et les entreprises françaises résistent-elles ? Et si oui comment ? Et, quand d’aventure elles cèdent à la tentation de la woke culture, quel intérêt trouvent-elles à emprunter cette voie ?